Le catholicisme culturel en tant qu'identité nationale

Religion

Comme le note l’historien Darcy Fontaine dans son essai pour cette table ronde d’EuropeNow, ce n’est pas nécessairement la dévotion religieuse, mais les expressions culturelles et l’attachement au catholicisme français qui restent les plus puissants et ont même été revitalisés ces dernières années, au grand dam du clergé de l’Église et des catholiques pratiquants. La majorité de la population française s’identifie toujours comme catholique d’une manière ou d’une autre, mais il est notable que 31 % de ceux qui s’identifient comme catholiques déclarent ne pas croire personnellement en Dieu. Ainsi, ce n’est pas nécessairement une religion catholique qui est ancrée dans la francité – avec les mœurs chrétiennes que l’Église promeut, l’accueil et l’hébergement de l’Autre, des immigrés, des pauvres et des opprimés. Il s’agit plutôt d’une vision très romantique, nostalgique et fictive de ce que le catholicisme représentait autrefois pour la nation française – l’unité, une culture commune, l’uniformité morale et sociale et, par-dessus tout, une identité nationale cohérente. Ainsi, lorsque Notre-Dame a brûlé, ce n’est pas un symbole religieux catholique qui a été pleuré, mais un symbole nostalgique d’une nation française idéalisée, culturellement catholique et imaginée comme ayant été plus unie que beaucoup de ses citoyens ne le pensent aujourd’hui.

Depuis 2012, les appels à ce que la France soit un pays historiquement et culturellement catholique ont fait de nombreux titres à l’approche de l’élection présidentielle de 2017. Une alliance quelque peu étrange a même émergé de ces sentiments entre le catholicisme culturel et le populisme, notamment dans le but de restaurer les valeurs chrétiennes en France. Les mouvements de droite ont capitalisé sur cette vague de catholicisme culturel pour gagner en soutien et en popularité dans un climat social préoccupé par les questions imminentes des menaces terroristes, de l’immigration, de l’identité nationale et de l’unité nationale. En 2017, Marine Le Pen a obtenu près de 35 % des voix au second tour avec son parti politique, le Front national. Les électeurs catholiques ont toujours été à droite, malgré quelques grandes vagues de cathos de gauches comme Mitterrand en 1981, mais ils ont rarement été aussi à droite que lors des élections de 2012 et 2017.

Il est important de noter que l’extrême droite n’est généralement pas plébiscitée par les catholiques « régulièrement pratiquants », mais par ceux qui se considèrent comme des catholiques culturels « parfois pratiquants » ou « non pratiquants » ; ceux qui disent le Notre Père une fois par an à Noël, à Pâques ou lors d’un enterrement familial, voire pas du tout. Les récentes élections européennes sont un exemple frappant de ce clivage. L’Union nationale a obtenu 28 % des voix. Mais si l’on examine plus en détail la répartition des électeurs, le RN d’extrême droite est en tête de liste avec 30 % pour les électeurs catholiques « non pratiquants », mais plus loin dans la liste pour les catholiques « pratiquants » avec seulement 14 %. Le parti centriste de Macron, La République en Marche, est en tête de liste pour les électeurs catholiques « régulièrement pratiquants », avec 43 %. En d’autres termes, la piété et la pratique religieuse tendent à être une source de modération parmi les électeurs catholiques français, tandis que l’affirmation d’une identité catholique forte sans pratiques régulières augmente la probabilité que les catholiques votent pour l’extrême droite.

Ces dernières années, l’identité française et son catholicisme ont été affirmés de multiples façons contre les musulmans français, soulignant pour le nationalisme d’extrême droite pourquoi et comment la France et l’Islam sont apparemment incompatibles ; un choc des cultures, un choc des civilisations. Tout comme il faut un « eux » pour définir un « nous », l’islam et les diverses « cultures musulmanes » qui l’accompagnent ont été utilisés pour définir tout ce que la culture française romantisée – le catholicisme – n’est pas. Ainsi, le catholicisme culturel s’est approprié le catholicisme français d’une manière qui sape à la fois les efforts de l’Église catholique française pour améliorer son action sociale et les nombreuses initiatives interconfessionnelles qui cherchent à unir les diverses communautés religieuses de France par le biais de leurs engagements éthiques communs. Comme le catholicisme culturel traverse le fossé entre les catholiques et les républicains français laïques, en interpellant les deux parties, il sert également de gardien de la francité. Ainsi, l’opposition de l’islam et des musulmans français au catholicisme culturel aboutit à la séparation complète des musulmans des dimensions « religieuse » et laïque de l’identité nationale française.